Bruxelles le 28 janvier 2020

Note à l’attention de M. Gianluca Brunetti

Secrétaire général du Comité économique et social européen

Objet :             Rapport de l’OLAF constatant plusieurs cas avérés de harcèlement moral au Comité économique et social (CESE) et comportant des recommandations disciplinaires et judiciaires  

Réf :    Ma note du 26 novembre 2018 ( lire )

  • Ma note du 17 décembre 2018 ( lire )  
  • Ma note du 12 février 2019 ( lire )
  • Ma note du 12 avril 2019 ( lire
  • Ma note du 13 mai 2019 ( lire )

« Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre »

Nombre de collègues du CESE nous ont sollicités afin d’intervenir pour que leurs situations de maltraitance psychologique sur leur lieu de travail cessent et/ou soient reconnues.

Par nos notes sous référence, nous avons alors usé de notre droit d’alerte et nous vous avons interrogé, à plusieurs reprises, ainsi que le Président Jahier, sur les cas présumés de harcèlement au sein du CESE ainsi que sur les mesures que vous comptiez prendre pour y remédier.

Nous nous sommes adressés à vous en tant que plus haut représentant de l’administration afin que des solutions rapides soient trouvées pour stopper tous ces agissements hostiles et ce climat malsain.

R&D, plus que jamais aux cotés des victimes prétendant que toute la lumière soit faite sur les faits graves que nous dénoncions …

En particulier, en tant que représentants du personnel, nous avons assisté les collègues qui ont fait appel à nous, nous avons mis à leur disposition notre service juridique, nous les avons accompagnés dans toutes leurs démarches aussi celles systématiquement infructueuses envers l’administration du CESE.

Votre réponse et celle du Président Jahier à nos innombrables démarches a été simple : circulez il n’y a rien à voir…

Il a été désolant de constater qu’en guise de réponse aux critiques, aux articles de presse, aux questions posées par le CONT dans le cadre de la décharge, à l’unisson avec M. Jahier, vous avez soit systématiquement opposé une fin de non-recevoir, soit adopté un ton abscons réfutant nos sérieuses préoccupations.

Vous en êtes même arrivé à exprimer votre indignation contre ces allégations, à vos yeux, malveillantes et dépourvues de tout fondement.

En particulier, vous avez sans cesse essayé de confondre les demandes plus que légitimes visant à obtenir que toute la clarté soit faite avec la mise en cause de la réputation de votre institution comme si la seule possibilité de la défendre était de se résigner à la loi du silence.

En guise d’exemple, de votre attitude, dans votre note du 19 mars 2019 à mon attention, vous m’écriviez : « I refuse to accept your reproaches and comments, which aim at distorting the reality, causing confusion and undermining the Committee’s reputation”.

Vous en êtes arrivé à nous enjoindre avec un ton autant autoritaire et presque menaçant que caricatural, de ne plus oser déranger (sic !) les membres du CESE, en démontrant ainsi leur réserver toute la sollicitude que vous refusiez aux membres du personnel victimes des comportements et abus que nous dénoncions.

Et dans vos communications au personnel, vous avez confirmé l’absence du bien fondé de nos démarches émanant selon vos dires « d’un syndicat externe » qui n’avait aucune légitimation. 

Une administration autoréférentielle et réfractaire à toute critique et à tout contrôle : … au CESE, tout va très bien dans le meilleur des mondes !  

Bref, dans un exploit autoréférentiel et réfractaire à toute critique qui restera à tout jamais dans les annales de nos institutions, vous avez décliné à profusion des propos rassurants confirmant qu’au sein du CESE tout allait parfaitement bien, que les procédures internes étaient irréprochables, que les enquêtes internes répondaient en tout point aux recommandations de la Médiatrice européenne, offraient toutes les garanties pour les collègues qui pouvaient se considérer victimes d’harcèlement… et que la stratégie « tolérance zéro » en matière de harcèlement était appliquée sans nuance.   

Tout va tellement bien au CESE que …pourquoi ne pas supprimer le Service Juridique ? 

Vous étiez tellement convaincu qu’au sein du CESE tout allait bien que dans votre première proposition de nouvel organigramme du CESE, vous en êtes arrivé à proposer la suppression pure et simple du Service Juridique. Simplement du jamais vu !

Nous imaginons que cette décision avait été prise en considérant que la légalité des décisions adoptées était acquise par définition sans nul besoin de vérification juridique.

En réponse à votre proposition simplement irresponsable nous avions constaté qu’elle dépassait même les attaques portées par un de vos prédécesseurs à l’indépendance du Service Juridique du CESE. Attaques que le Tribunal avait stigmatisées constatant la violation à l’égard de l’ancien responsable du Service Juridique « des dispositions que le statut a spécifiquement établies dans le cadre de la lutte contre le harcèlement » en condamnant le CESE à lui verser 25.000 euros au titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi[1].

C’est seulement face à notre réaction et à celles de plusieurs membres du CESE que vous avez retiré votre proposition et vous avez confirmé l’existence du Service Juridique dans l’organigramme adopté in fine et vous l’avez maintenant placé sous votre direction directe. Ce qui, au vue des antécédents mentionnés ci-dessus, nous oblige à rester vigilants en ce qui concerne la garantie de son indépendance présente et future.

Face au dialogue de sourd que vous avez organisé, R&D et des membres du CESE ont déposé une plainte auprès de la Médiatrice européenne…

En réponse à vos dénis de réalité, nous avons été contraints conjointement avec deux membres du CESE de déposer une plainte formelle auprès de la Médiatrice européenne dénonçant, entre autres, l’absence de toute gestion efficace des cas de harcèlement (cf. message).

Le 20 janvier dernier, en démontrant tout le bien fondé de nos démarches ainsi que le caractère risible et irresponsable de toutes vos assurances, l’OLAF a déposé un rapport accablant faisant état de plusieurs cas de harcèlement avérés et aussi d’autres comportements inappropriés au sein du CESE et comportant des recommandations disciplinaires et judiciaires !

En particulier, la presse vient de relater ( euobserver ; nedinfo.nl ) le fait que l’OLAF vient de remettre aux autorités du CESE un rapport accablant, qui constate l’existence de plusieurs cas avérés de harcèlement moral de la part du président du Groupe I du CESE, cette même personne dont le style de gestion était déjà qualifié comme ne correspondant « pas complètement, sur certains aspects, à la culture administrative du service public européen » dans s l’arrêt de la Cour de 2016 dans l’affaire F- 50/15, FS c/CESE.

Dans ce rapport, ainsi que dans les lettres qui leur ont été adressées, l’OLAF reconnaît formellement le statut de victimes de harcèlement à plusieurs collègues et constate également d’autres comportements inappropriés qui auraient eu cours au sein du CESE.

Et eu égard à la gravité des faits constatés, l’OLAF transmet le dossier au Tribunal !

En raison de la gravité de ces faits – le harcèlement étant un délit pénal – les dossiers seront transmis au tribunal belge. 

Bref, le cas CESE, c’est du jamais vu au sein d’une institution européenne !

Compte tenu de votre longue expérience au sein de différentes institutions européennes et en tant que Secrétaire général du CESE, vous conviendrez avec nous que jamais jusque-là une institution européenne n’avait été confrontée à des constats aussi accablants de la part de l’OLAF !

Face aux allégations risibles envers l’OLAF …

Ce n’est pas la tentative plus que maladroite et pathétique de politisation de ce dossier ou les allégations risibles accusant l’OLAF d’être à l’origine d’un « complot politique » qui nous intéressent ici.

R&D rend hommage au travail de l’OLAF !  

Nous concernant, il est inutile de confirmer que nous rendons hommage aux services de l’OLAF non seulement pour la gestion irréprochable de ces investigations mais aussi pour l’accueil très respectueux et l’écoute attentive réservés aux victimes qui ont déposé plainte et aux collègues qui ont été appelés à témoigner.

La réponse du Groupe I des Employeurs au rapport de l’OLAF : le membre accusé de ces faits de harcèlement est voté comme étant candidat à la Présidence du CESE !  

Néanmoins, pour apprécier le climat d’impunité totale qui règne au sein du CESE que vos prises de positions ont sans nul doute contribué à renforcer, la même personne qui est tenue responsable des faits de harcèlement repris dans le rapport de l’OLAF, vient de recevoir une majorité de voix au sein de son groupe 1 Employeur pour devenir le prochain président de votre institution (sic !).

Dans l’esprit du groupe 1 des Employeurs, les constats d’harcèlement formulés dans un rapport de l’OLAF sembleraient être, dès lors, devenus un titre de mérite ou pour le moins un détail négligeable…

Nous pouvons seulement espérer que les membres de ce groupe, une fois retournés auprès de leur Etat membre pour accomplir leurs responsabilités d’employeur, ne fassent pas preuve de la même « sensibilité » dans la prévention et la gestion éventuelle des cas d’harcèlement au sein de leurs entreprises et envers leurs employés….   

Quoi qu’il en soit, eu égard, à l’article 302 du traité FUE, il appartiendra au Conseil, à la majorité qualifiée et sur la base de propositions présentées par les États membres, de nommer les membres du prochain Comité après avoir consulté la Commission sur ces nominations.

Par la suite, si l’actuel Président du groupe 1 est réélu, il appartiendra, le cas échéant, à la plénière du CESE de décider sur l’opportunité du choix concernant la nomination du futur président et d’assumer les conséquences de cette décision en ce qui concerne la crédibilité et la réputation de cette institution déjà ternies par les conclusions du rapport de l’OLAF.

Monsieur le Secrétaire général, il est ENFIN temps de rendre compte du fonctionnement du CESE et des défaillances incontestables des procédures internes ayant permis que les faits très graves constatés par l’OLAF perdurent pendant des années, ceci sans que l’administration du CESE ait été capable tout d’abord de les prévenir et puis de les sanctionner !

En effet, en tant qu’ancien Directeur des Ressources humaines, de 2010 jusqu’à votre nomination en 2018 au poste de Secrétaire général, nous sommes en droit de vous demander ce que vous avez fait pour éviter les cas constatés par l’OLAF d’autant plus qu’ils portent sur un nombre important de victimes et se sont déroulés pendant plusieurs années.

Plutôt que la politique de « tolérance zéro » en matière de harcèlement dont vous vous êtes toujours vanté, au sein du CESE c’est plutôt la politique des « yeux fermés », de la « tolérance 100% des dérapages » et, hélas, celle de la « protection O% » des victimes… qui semblent avoir été systématiques ! 

Aussi, nous vous demandons eu égard aux conclusions de l’OLAF et sans préjudice de l’issue des démarches de faire face à la réalité.

Heureusement, il est rassurant de constater, compte tenu de toutes vos réponses réservées à nos démarches, comme nous aurions pu le craindre, vous ne semblez pas à votre tour dénoncer que le rapport de l’OLAF serait le fruit « d’un complot politique » …c’est déjà un bon debout …

Néanmoins, il ne suffit certainement pas de s’engager à mettre en œuvre, à l’avenir, les recommandations de l’OLAF !

Néanmoins, il ne suffit pas et il est maintenant trop facile de déclarer – ce que nous apprécions naturellement – que les conclusions du rapport de l’OLAF seront appliquées intégralement à l’avenir.

Mais il ne peut pas être question et il serait trop facile de tourner simplement la page …

Il faut maintenant ENFIN faire toute la lumière sur le passé !

Sans chercher à occulter ce qui n’a pas été fait pendant de longues années, il est absolument nécessaire de faire toute la lumière sur le passé, sur les origines et les responsabilités des défaillances qui ont permis ou pour le moins toléré qu’autant de collègues subissent de tels agissements au sein d’une institution d’une taille si réduite.

Il faut aussi protéger ENFIN les collègues victimes et réparer ENFIN les préjudices subis !

De même, nous vous demandons de nous informer sur les mesures que vous comptez prendre pour protéger ENFIN les collègues victimes et réparer ENFIN les préjudices subis des collègues qui ont dû attendre de longues années et qui ont dû s’adresser à l’OLAF pour que leurs droits soient enfin reconnus.

Quant aux sanctions éventuelles adoptées vis-à-vis de la (des) personne(s) dont les comportements auraient porté atteinte à la dignité, à la personnalité et à l’intégrité de nos collègues, il appartiendra à la magistrature de mener à bien les procédures adéquates mais aussi à l’AIPN du CESE pour vérifier les responsabilités éventuelles des membres du personnel ayant contribué par leur complicité ou leur inaction. 

Le CESE, en tant qu’employeur doit ENFIN répondre à son obligation de sécurité et de résultat !

Nous vous rappelons également qu’il incombe à chaque employeur de mettre en place la Directive européenne du 12 juin 1989 dont les mesures visent à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs.

Or, vu les faits constatés par l’OLAF et malgré plusieurs alertes que nous vous avions lancées par nos communications ( cf. référence ) utilisant ainsi notre devoir et notre obligation en tant que représentants du personnel de veiller à la bonne application du Statut et de la législation nationale en vigueur, les victimes n’ont pas trouvé d’échos à leur maltraitance psychologique et ont dû se tourner vers un organisme externe à votre institution afin d’être reconnues ENFIN en tant que victimes.

Vu ce qui précède, nous vous demandons de mettre en place dans les plus brefs délais les dispositions nécessaires afin d’assurer la santé mentale et le bien-être des collègues du CESE.

Il faut revoir également le code de bonne conduite « à l’eau de rose » qui vient d’être adopté à toute vitesse et sans les garanties nécessaires !

Concernant les procédures internes au CESE, c’est avec la plus grande amertume que nous notons qu’au sein de cette institution tout membre qui serait tenu pour responsable de tels agissements n’a vraiment guère à craindre eu égard au code de bonne conduite « à l’eau de rose » que vous avez proposé et qui a été adopté sans même recueillir l’avis préalable de votre Service Juridique… dans une approche…Si on ne peut pas supprimer le Service Juridique, évitons pour le moins de le saisir … 

A nouveau, c’est à la suite de nos protestations et à celles de plusieurs membres que vous vous êtes engagé à recueillir l’avis du Service Juridique …  ex post !  

Pouvons-nous connaître l’avis qui a été rendu ? Dans tous les cas, vous devez maintenant, dans un souci de transparence, communiquer les conclusions de l’avis rendu par le Service juridique au moins aux membres qui l’avaient demandé.

Face à cette procédure d’adoption pour le moins acrobatique, nous ne voulons pas croire comme d’aucuns en sont arrivés à le prétendre, que l’adoption hâtive de ce code « à l’eau de rose » prévoyant des sanctions risibles, visait à anticiper le rapport de l’OLAF qui était annoncé…

Quoi qu’il en soit, il est évident que ce code de bonne conduite n’est nullement susceptible d’assurer une gestion efficace des cas de harcèlement, ne prévoit pas de sanctions crédibles et dissuasives et tout au contraire renforce le sentiment d’impunité qui est depuis trop longtemps de mise au sein du CESE.

Il est, dès lors, urgent de le revoir en profondeur.

Si jamais, malgré votre bonne volonté, vous étiez dans le doute de savoir quels changements introduire afin de rendre ce code de bonne conduite ENFIN crédible et à la hauteur de la gravité des faits constatés par l’OLAF, nous nous permettons de soumettre à votre appréciation la possibilité de prendre en compte la proposition à cet égard de la Médiatrice européenne :

« Personnel de Haut rang – Les individus sont particulièrement vulnérables au harcèlement en cas de déséquilibre de pouvoir entre les parties concernées. Ceci peut être atténué par des règles plus strictes pour le personnel de Haut rang qui ne dépend pas du Statut, comme les Commissaires, les juges, les membres de la Cour des Comptes, les membres du Comité économique et social, [i]etc. Celles-ci pourraient inclure des mesures disciplinaires aggravées, telles que la retraite anticipée ou la suppression des droits à pension. Le personnel de Haut rang devrait être informé de toutes les règles et politiques anti-harcèlement au début de leurs mandats de ma­nière exhaustive et à intervalles réguliers »[2]

R&D attend ENFIN vos réponses

Compte tenu de ce qui précède c’est donc avec impatience que, conjointement aux collègues concernés, nous attendons vos réponses.

Dans ce cadre, nous nous tenons à votre entière disposition pour vous rencontrer à votre meilleure convenance.

Cristiano SEBASTIANI  

Président

CC.      M. Jahier Président du CESE

            M. Kracyek Président du groupe I au CESE

Mme Sharma et M. Malosse Membres du CESE

Mes et MM les Membres du CESE

Mme O’REILLY, Médiatrice européenne

Mme Monika HOHLMEIER, Présidente et Mmes et MM les vice-présidents et membres de la Commission du Contrôle budgétaire du Parlement européen

M. Ville ITÄLÄ, Directeur général de l’OLAF

Mme Nicolaie Directeur IDOC

Personnel des Institutions


[1] Arrêt du Tribunal de la Fonction publique du 25 septembre 2012, Bermejo Garde/CESE, affaire F-41/10, Arrêt du Tribunal du 8 octobre 2014, affaire T-530/12 P, Bermejo Garde c/ CESE) et Arrêt du Tribunal de la Fonction Publique du 2 juin 2016 dans l’affaire F‑41/10 RENV.

[2] C’est nous qui soulignons. Cfr Point 2.5 Rapport de la Médiatrice européenne sur la dignité au travail dans les institutionset agences de l’UE, Points 34, 35, 36 37 des meilleures pra­tiques identifiées.