Bruxelles, le 12 février 2019

Note à l’attention de M. Luca Jahier

Président du CESE

et

De M. Gianluca Brunetti

Secrétaire général du CESE

Objet:             –  Article EP Today  du 21 Janvier 2019 sur les cas de harcèlement au sein du CESE

–  Rapport de la Médiatrice européenne proposant de nouvelles mesures contre le harcèlement dans les institutions de l’UE

 

Rappel des faits

Par nos notes du 26 novembre (lien) et du 17 décembre 2018 (lien), nous avions attiré votre attention sur la nécessité urgente de faire la lumière sur plusieurs cas potentiels de harcèlement au sein de votre institution. Nous avions notamment rappelé que, jusqu’alors, la gestion de ces dossiers par le CESE avait été pour le moins inadéquate et qu’un sentiment d’impunité semblait s’être instauré, ce qui n’avait pas manqué de provoquer un découragement profond des collègues.

Nous tenons à confirmer que nous avons entamé nos démarches à la suite des demandes d’aide nous ayant été adressées par nombre de collègues du CESE.

D’une part, suite à la distribution de nos notes susmentionnées, nous avons reçu d’innombrables réactions de soutien confirmant toute l’ampleur des problèmes qui en sont à la base en nous invitant à poursuivre, voire renforcer notre action visant à prétendre que toute la clarté soit faite.

D’autre part, en réponse à nos démarches, M. Brunetti a semblé banaliser l’ampleur des problèmes éventuels, en arrivant même à mettre en cause notre droit de défendre ces collègues et d’aborder ces difficultés…

De même, dès que plusieurs articles de presse se sont fait écho de ces problèmes, il a semblé mettre en cause la crédibilité de ces organes de presse.

Bref, M. Brunetti a semblé vouloir essayer de convaincre que tout allait très bien au sein du CESE en nous invitant à circuler et à regarder ailleurs…

De notre part, nous avons confirmé que cette attitude visant à nier tout ce qui pouvait l’être et à banaliser ce qui ne pouvait plus être nié, n’était pas de nature à répondre à la gravité de la situation et nous avons continué à prétendre que toute la clarté soit faite.

L’ouverture d’enquêtes en bonne et due forme s’impose au sein du CESE

Il semblerait qu’à présent vous vous soyez enfin convaincus à votre tour qu’il est urgent d’ouvrir des enquêtes formelles afin de faire toute la lumière sur les faits qui ont con­duit plus de vingt collègues en 2016 et vingt-cinq collègues en 2017 à saisir le réseau des personnes de confiance (chiffres communiqués par le CESE au Comité du Contrôle budgétaire du Parlement européen), qui ont fait l’objet de plaintes auprès de l’OLAF (au moins quatre plaintes en 2018 d’après la presse) et qui ont été relayés par des membres du CESE et de la presse (link).

Si tel est bien le cas nous ne pouvons que nous réjouir de cette décision, on ne peut plus tardive, qui constitue néanmoins une première étape essentielle pour établir les faits et les responsabilités de chacun. Elle est certainement attendue par les collègues qui, jusqu’alors, se voyaient opposer une fin de non-recevoir malgré la persistance des pro­blèmes.

Néanmoins, faut-il encore que ces enquêtes soient organisées de manière crédible et en répondant aux meilleurs standards en la matière.

Les recommandations de la Médiatrice Européenne publiées le 17 décembre dernier concernant la gestion des cas d’harcèlement

A cet égard, vous avez sans doute pris connaissance et apprécié à leur juste valeur les recommandations de la Médiatrice européenne, Mme O’Reilly, en ce qui concerne le traitement des cas de harcèlement (https://www.ombudsman.europa.eu/en/correspondence/en/107799) et nous attirons particulièrement votre attention sur un certain nombre de points.

Il s’avère que ses propositions, que nous soutenons en tout point, relèvent des bonnes pratiques observées à travers les échanges que la Médiatrice a eu avec vingt-six institutions et agences.

Il ne s’agit donc pas d’idées novatrices qui relèveraient de la fantaisie de jusqu’au-boutistes, dont vous avez semblé qualifier nos demandes.

Il s’agit simplement de l’application des règles relevant du Statut de la fonction publique européenne, de l’application de la jurisprudence et  de l’application des principes fon­damentaux, à savoir le respect de la dignité au travail (article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), à « toute personne travaillant dans les institu­tions européennes indépendamment de son statut » comme le rappelle la Médiatrice européenne dans son rapport, c’est-à-dire y compris aux membres des institutions.

Eu égard à la situation actuelle au sein du CESE, il s’avère crucial pour la crédibilité, non seulement de cette institution mais de toutes les institutions de l’UE, de reprendre au plus vite ces meilleures pratiques pour être en phase avec les attentes légitimes du personnel et de la Médiatrice européenne

En ce qui concerne la question des enquêtes devant être diligentées au sein du CESE, deux aspects soulignés par la Médiatrice européenne méritent, dans l’immédiat, la plus grande attention.

A cet égard, Mme Madi Sharma, membre du CESE, que nous tenons à remercier encore une fois pour son action résolue dans ce domaine, a d’ailleurs déjà attiré toute votre attention et nous pouvons vous confirmer que ses inquiétudes sont aussi les nôtres et sont les mêmes dont les collègues nous ont fait part.

1)  L’indépendance des enquêteurs

En ce qui concerne la phase de traitement des situations de harcèlement, il est fondamental que les enquêtes soient menées de manière impartiale et équitable et qu’elles soient également perçues comme telles par les parties concernées, ce qui implique des enquêteurs spécialisés en la matière et, surtout, indépendants :

Enquêteurs indépendants – Pour que les enquêtes soient efficaces, les enquêteurs doivent non seulement être impartiaux et équitables, mais également perçus comme tel par les parties concernées. Lorsqu’un organe de l’UE ne dispose pas des ressources adéquates afin de désigner une équipe spécialisée dans les enquêtes d’allégations de harcèlement, ils devraient envisager de recourir à des enquêteurs externes.

Le cas échéant, les institutions et les agences de l’UE devraient s’appuyer sur le « pool d’enquêteurs indépendants » créé dans le cadre du réseau d’agence de l’UE et contribuer à son développement

(Point 2.4 Rapport de la Médiatrice européenne sur la dignité au travail dans les institutions et agences de l’UE, points 30, 32, 32, 33 des meilleures pratiques identi­fiées). 

Aussi nous demandons que les enquêtes au sein du CESE répondent intégralement à ces exigences.

2)  La nécessité de mettre en place toutes les mesures susceptibles d’éviter toute perception de risque de conflit d’intérêt ou de double rôle « de juge et par­tie »

En effet, comme Mme Sharma le souligne toujours à juste titre, il est essentiel d’éviter que les personnes amenées à prendre des décisions sur le traitement et la gestion des cas de harcèlement puissent être les mêmes qui, notamment de par leurs fonctions, sont ou ont été appelées par le passé, à gérer directement ces situations au sein de cette même institution.

Comment comptez-vous concilier les exigences requises et la question du conflit d’intérêt?

De plus, comme Mme Sharma l’a également rappelé, l’enquête administrative menée à l’époque et qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de 2015 a montré ses limites face au comportement du membre du CESE.

Dès lors, il est de l’intérêt de tous d’organiser une enquête externe, effectuée par des inspecteurs indépendants.

3) Engagement de la responsabilité et sanctions renforcées pour toute personne disposant d’un mandat politique et n’étant pas soumise au statut

En ce qui concerne les personnes potentiellement impliquées, la Médiatrice européenne rappelle que le respect de la dignité au travail concerne toutes les personnes travail­lant dans une institution. Ceci comprend également les personnes investies de mandat politique, tels que les membres du CESE.

Contrairement au sentiment d’impunité envers les membres du CESE et d’impuissance de l’administration à leur égard qui semble s’être développé au sein de votre institution, comme la Médiatrice le souligne, les sanctions envers les personnes disposant d’un mandat politique doivent refléter la gravité des comportements inadéquats à des niveaux élevés et se traduire par des mesures disciplinaires renforcées et ayant une réelle portée et mettant la personne incriminée hors d’état de nuire à nouveau.

Personnel de Haut rang – Les individus sont particulièrement vulnérables au harcèlement en cas de déséquilibre de pouvoir entre les parties concernées. Ceci peut être atténué par des règles plus strictes pour le personnel de Haut rang qui ne dépend pas du Statut, comme les Commissaires, les juges, les membres de la Cour des Comptes, les membres du Comité économique et social, etc. Celles-ci pourraient inclure des mesures disciplinaires aggravées, telles que la retraite anticipée ou la suppression des droits à pension. Le personnel de Haut rang devrait être informé de toutes les règles et politiques anti-harcèlement au début de leurs mandats de ma­nière exhaustive et à intervalles réguliers

(Point 2.5 Rapport de la Médiatrice européenne sur la dignité au travail dans les institutions et agences de l’UE, Points 34, 35, 36 37 des meilleures pra­tiques identifiées)

Ainsi, en ce qui concerne la situation au CESE, il ne peut plus être question d’établir des codes de bonne conduite « à l’eau de rose » et le fait qu’un membre d’un groupe politique soit directement concerné ne doit plus être une excuse pour ne pas agir au motif qu’il n’est pas soumis au Statut de la fonction publique euro­péenne.

Tout comme il n’est plus acceptable que le personnel mis à la disposition des membres du CESE par le biais de contrat d’AT 32 c) soit considéré comme étant corvéable à merci en étant aussi soumis aux caprices de l’un ou l’autre membre.

4) La protection des victimes et la réparation des préjudices

Il est aussi crucial de mettre en place des mesures adéquates concernant la protection des victimes et des témoins appelés à collaborer dans le cadre des enquêtes ainsi que les mesures de réparation, en particulier, lorsque des personnes dans des situations précaires ont perdu leur emploi ou ont vu leur contrat ou conditions de travail se dégrader.

Mesures de réhabilitation – les organes de l’EU doivent mettre en place un mécanisme pour supporter et aider les victimes d’harcèlement. S’il y a lieu, les victimes ou auteurs de harcèlement devront être déplacés en interne. Les victimes devront recevoir des conseils et les employeurs devront assurer que leur progression de carrière ne sera pas altérée

(Point 2.6 Rapport de la Médiatrice européenne sur la dignité au travail dans les institutions et agences de l’UE, Points 38, 39 des meilleures pratiques identi­fiées).

Comme l’indique le rapport de la Médiatrice européenne: les employeurs des « victimes’ devront surveiller étroitement la situation pour assurer que leur progression de carrière ne soit pas endommagée.

Conclusion

En conclusion, eu égard aux plaintes déposées par les collègues, à la saisine par plusieurs personnes de l’OLAF, à la prise de position de la Médiatrice européenne, au vote des membres du groupe I du CESE, à la demande d’explications du Comité du Contrôle budgétaire du Parlement européen dans le cadre de la décharge budgétaire, nous vous demandons d’informer au plus vite le personnel sur les mesures que vous avez prises ou comptez prendre et sous quel délai vous comptez organiser des enquêtes de manière crédible pour enfin traiter de façon efficace les cas de harcèlement au sein du CESE.

A cet égard, nous nous permettons de rappeler encore une fois que les agissements de certains sont connus et rapportés dans des arrêts de la Cour depuis le début des an­nées 2010

Cristiano Sebastiani

Président

CC:

Mme E. O’Reilly, Médiatrice européenne

Mme Madi Sharma Membre du CESE

Mme I. Graessle, Présidente de la Commission du Contrôle budgétaire du Parlement européen

Personnel des Institutions

 

P.S. : Les extraits du rapport de la Médiatrice ont été traduits de l’anglais vers le français par R&D.