Bruxelles, le 14 septembre 2016

OBJET : Affaire Barroso, votre réponse du 9 septembre dernier à la Médiatrice européenne

Nous accueillons favorablement votre réponse du 9 septembre dernier à la Médiatrice européenne.

Par celle-ci, vous avez confirmé avoir demandé à M. Barroso de clarifier les termes de son contrat et de ses missions en vue de sou­mettre ce dossier à l’avis du Comité d’éthique ad hoc.

Cependant, nous déplorons que cette prise de position, plus que tardive, arrive plusieurs mois après la décision – plus que regrettable – de notre ancien Président d’offrir ses services à cette banque d’affaires.

A plusieurs reprises, par nos trois précédents courriers (12 juillet, 04 août) dont le dernier en date du 9 septembre dernier, nous nous sommes permis de vous demander de prendre position et d’agir.

Qui plus est, nous sommes au regret de constater que pour qu’une première démarche soit enfin mise en œuvre, outre nos démarches, il a fallu une pétition : « Pas en notre nom », initiée par un collectif de collègues dépassant à ce jour 140.000 signatures, ainsi que les réactions outrées de toute la presse européenne et les prises de position féroces des plus hautes autorités politiques au sein des Etats membres dont nous nous limitons à rappeler, ici, celle du Président de la République Française qualifiant la conduite de M. Barroso de « immorale »

Ceci sans oublier les deux rappels de la Médiatrice européenne (12 juillet , 05 septembre) vous enjoignant de préciser la position de la Com­mission.

Pendant de longues semaines, c’est avec tristesse que nous avons constaté que l’attitude de la Commission semblait viser une banalisation de cette affaire en espérant que la crise politico-médiatique s’estompe avec l’aide de la trêve estivale.

Or, avec une telle attitude, c’est justement l’effet contraire qui a été obtenu en provoquant des réactions de plus en plus virulentes et en arri­vant à donner l’impression que notre institution cautionnait sans réserve les démarches de son ancien Président.

Tout au contraire, il aurait fallu établir une séparation étanche entre les agissements plus que critiquables et politiquement irresponsables de Monsieur Barroso et la position de la Commission.

Ceci, avant tout, sur le plan politique sans se retrancher dans des juridismes parfois acrobatiques que ni votre personnel, ni le monde exté­rieur n’a été disposé à comprendre et à accepter.

Il est incontestable maintenant que les répercussions politiques de cette affaire ont d’ores et déjà créé des dommages importants pour l’image et la crédibilité de notre institution à un moment crucial pour notre avenir.

A cet égard, c’est avec tristesse et consternation que nous avons pris acte des assurances que vous donnez dans votre réponse à la Média­trice européenne selon lesquelles, dans ses nouvelles missions, M. Barroso serait traité par les services sans favoritisme et comme tout autre lobbyiste.

Eu égard à la conception que nous avons du rôle de notre institution et à la fierté que nous avons de la servir, il est pour nous inconcevable qu’un ancien Président de la Commission, après la fin de son mandat, puisse devenir, agir et être traité comme n’importe quel lobbyiste.

Et, malgré vos assurances, ni votre personnel, ni le monde extérieur ne sera rassuré par des engagements de ce type.

Quant au fait que, comme vous l’indiquez dans votre réponse à la Médiatrice européenne, les règles en vigueur en matière de conflits d’inté­rêts après la cessation des fonctions et qui sont d’application pour les anciens Présidents et Commissaires seraient déjà très contraignantes et répondraient aux meilleurs standards internationaux, qu’il nous soit permis de rappeler que ces règles sont moins contraignantes que celles qui s’appliquent aux propres membres du personnel de notre institution.

A cet égard, nous partageons la déception de la Médiatrice européenne concernant le fait que les principales questions soulevées dans sa lettre sur la réforme du code de conduite, y compris l’introduction de sanctions, soient restées sans réponse et restent ou­vertes.

Ainsi, nous saluons la prise de position de la Médiatrice européenne souhaitant recevoir une réponse plus complète à ce sujet, lorsque la Commission lui fera parvenir sa réponse relative à sa décision au sujet de l’enquête qu’elle a menée sur la façon dont la Commission Barro­so avait traité la reprise d’une activité professionnelle d’un ancien commissaire. En effet, l’enquête avait constaté que la Commission Barro­so avait manqué à ses obligations en matière de prévention de conflit d’intérêt de cet ancien Commissaire. La Médiatrice européenne avait, entre autres, déjà invité notre institution à adapter les règles en vigueur pour les rendre plus claires et contraignantes.

En conclusion, nous concernant, le jugement à porter sur l’affaire Barroso ainsi que les mesures à prendre sans délai ont été parfaitement résumés dans la conclusion de l’article « Barroso l’antieuropéen » paru le 16 juillet dernier dans le journal Le Monde : « La Commission doit condamner cette nomination et changer ses règles : interdiction à vie à un ancien de ses membres d’aller « pantoufler » dans un domaine qu’il a réglementé. Il en va de l’image de l’UE, enfin de ce qu’il en reste ».

Comme vous l’avez indiqué à l’occasion de votre prise de fonctions, vous présidez la Commission de la dernière chance parce que nous observons avec inquiétude, et tristesse, que le fossé qui s’est instauré entre les peuples d’Europe et leurs opinions publiques, d’une part, et l’action politique très souvent incompréhensible que nous menons en Europe, d’autre part, ne cesse de s’agrandir. Les citoyens se sont effectivement éloignés de l’Europe, et les citoyens s’en sont éloignés parce que l’Europe s’est éloignée des citoyens. Il faudra tout faire tout ferme pour refermer l’énorme lacune, l’énorme fossé qu’il y a entre l’Europe et ceux qui la peuplent.

Nous partageons en tout point vos propos et nous formulons l’espoir que dans la poursuite de la gestion de l’affaire Barroso, sous votre nouvelle impulsion, notre institution puisse démontrer la détermination ainsi que la capacité de réaction et d’action qui ont manqué jusque-là et que votre personnel et le monde extérieur vous de­mandent.

 

Cristiano SEBASTIANI,

(signé)

Président

 

Copie: Le Collège des Commissaires

La Médiatrice européenne

Le Personnel de l’Institution