La Cour de Justice confirme l’illégalité de la prise en compte de la nationalité pour le calcul du remboursement des frais de voyages annuels !

La Cour de justice a rendu le 18 avril 2024 un arrêt CURIA – Documents (europa.eu) dans lequel elle constate l’illégalité de l’article 8, deuxième alinéa du deuxième paragraphe, de l’annexe VIII du statut, concernant les modalités de calcul du remboursement forfaitaire des frais de voyages annuels de certains fonctionnaires et autres agents.

Cette disposition insérée dans le statut lors de la réforme de 2014, contre l’avis de R&D et de toute la représentation du personnel, est rédigée comme suit :

  • « 1.      Le fonctionnaire qui a droit à une indemnité de dépaysement ou d’expatriation a droit, chaque année civile et dans la limite fixée au paragraphe 2, à un paiement forfaitaire des frais de voyage du lieu d’affectation au lieu d’origine tel qu’il est défini à l’article 7 [de cette annexe], pour lui-même et, s’il a droit à l’allocation de foyer, pour son conjoint et les personnes à sa charge au sens de l’article 2 [de ladite annexe].
  • […]
  • 2.      Le paiement forfaitaire est effectué sur la base d’une indemnité calculée par kilomètre de la distance géographique séparant le lieu d’affectation du fonctionnaire de son lieu d’origine.
  • Lorsque le lieu d’origine défini à l’article 7 [de la même annexe] est situé à l’extérieur du territoire des États membres de l’Union ou en dehors des pays et territoires énumérés à l’annexe II du traité [FUE] ou en dehors du territoire des États membres de l’Association européenne de libre-échange [(AELE)], le paiement forfaitaire est effectué sur la base d’une indemnité calculée par kilomètre de la distance géographique entre le lieu d’affectation du fonctionnaire et la capitale de l’État membre dont il possède la nationalité. […]
  • […]
  • 4.      Les paragraphes 1, 2 et 3 du présent article sont applicables au fonctionnaire dont le lieu d’affectation est situé sur le territoire d’un État membre. […]
  • […] »»

Dans son arrêt, la Cour constate à présent que la prise en compte de la distance entre le lieu d’affectation et la capitale de l’État membre dont l’agent a la nationalité, qui ne coïncide pas avec son lieu d’origine, constitue une discrimination fondée sur la nationalité. La prise en compte de cette nationalité dans les modalités de calcul de l’indemnité est en effet sans rapport avec l’objectif de la règle visant à rembourser les frais de voyages annuels au lieu d’origine.

Comme toujours rappelé par R&D , la Cour confirme que des considérations de nature purement budgétaire ou administrative ne peuvent en aucun cas justifier des discriminations entre membres du personnel se trouvant dans des situations comparables !

Force est de rappeler que dans le cadre des discussions relatives à la Réforme, nous avions souligné que le législateur disposait de plusieurs possibilités pour atteindre l’objectif de rationalisation budgétaire mais sans méconnaître la finalité dudit article 8 ni instaurer de discriminations en raison de la nationalité entre les fonctionnaires concernés.

Et nous avions dénoncé que sous prétexte de « moderniser, simplifier et rendre leur application plus simple et plus transparente  les règles en matière de délai de route et de paiement annuel des frais de voyages entre le lieu d’affectation et le lieu d’origine » ces nouvelles dispositions auraient dans les faits provoqué des conséquences absolument aberrantes et injustifiées selon la nationalité du collègue concerné.

Toutes nos remarques avaient été rejetées pour finalement imposer cette modification brutale et inacceptable des modalités de remboursement des frais de voyages annuels.

Comme nous l’avions indiqué au cours de la négociation, sous le point 81 de son arrêt, la Cour confirme que :  

  • [… des considérations de nature purement budgétaire, administrative ou de politique du personnel ne sauraient constituer, à elles seules, une justification objective de la différence de traitement instituée entre des fonctionnaires se trouvant dans des situations comparables découlant du recours à un critère dépourvu de tout lien avec l’objectif poursuivi par l’article 8 de l’annexe VII du statut.  
  • Il résulte de ce qui précède que, en jugeant que la différence de traitement instituée par le législateur de l’Union selon la nationalité des fonctionnaires concernés était justifiée par des considérations de nature budgétaire, administrative ou liées à la gestion des ressources humaines, le Tribunal a commis une erreur de droit. »

À la suite de cet arrêt de la Cour, le montant de l’indemnité à verser aux fonctionnaires et agents concernés est celui résultant de « l’application d’une indemnité calculée par kilomètre de la distance géographique séparant leur lieu d’affectation de leur lieu d’origine ».

A l’avenir, les institutions devront donc modifier les modalités de calcul de ces indemnités forfaitaires pour les collègues concernés par ces dispositions. Elles ne sont en revanche pas tenues de revoir les indemnités versées depuis l’année 2014 jusqu’à l’année 2023.

N’hésitez pas à nous consulter pour vérifier que les nouveaux calculs (à compter de l’année 2024) seront correctement effectués afin d’introduire, le cas échéant, une réclamation dans le délai statutaire de trois mois.

Il n’y a pas de « petites Réformes » ou de « Réformes chirurgicales » !

Outre les bénéfices obtenus pour les collègues concernés, ce dossier est très important car il fournit un exemple éclairant pour comprendre, enfin, la véritable volonté politique qui anime le législateur dans le cadre de toute Réforme du statut.

Un nombre croissant d’États membres et les composantes du Parlement européen les plus hostiles à notre fonction publique sont uniquement intéressés à couper, réduire, pénaliser et ce à n’importe quel prix, invoquant n’importe quelle justification et en imposant, comme en l’espèce, même les dispositions les plus aberrantes ! 

Tout ceci parfois aussi sur base de propositions néfastes de la Commission, présentées dans l’illusion d’être crédible, de complaire le législateur pour éviter des conséquences encore plus néfastes.

Pour ces raisons, il est simplement irresponsable d’envisager de « petites Réformes », de « Réformes chirurgicales », avec l’illusion de pouvoir maitriser le processus et la négociation en la limitant à l’une ou l’autre mesure.

Le fait est que l’expérience notamment des deux dernières Réformes démontre amplement qu’une fois que la Commission aura présenté sa proposition de Réforme, le législateur demeure libre de modifier toute autre disposition du statut, non seulement les volets qui ne sont pas couverts par la proposition initiale mais également ceux dont la Commission a expressément exclu la possibilité de modification.  

Cristiano Sebastiani,

Président