Bruxelles, le 1 juin 2017
Note à l’attention de Monsieur Italianer
Secrétaire général de la Commission
Objet: Votre note du 2 mai dernier à mon attention ( lien )
Réf: Ma note du 7 mars dernier à l’attention de M. Juncker, relative à la décision du 28 février 2017, de la Médiatrice européenne d’ouvrir une enquête invitant la Commission à répondre à la lettre du 16 octobre 2016, rédigée par le collectif des membres du personnel, à l’origine de la pétition « Pas en notre nom » ( lien ) mais aussi à vérifier la gestion de ce cas de « pantouflage » par notre institution
Notre dossier Barroso Kroes (cf. dossier )
Je vous remercie pour votre note citée en objet.
A cette occasion, vous avez tenu à apporter certaines clarifications sur la gestion des cas Barroso et Kroes.
Vous avez notamment exprimé le souhait que celles-ci puissent être de nature à me rassurer quant à la gestion appropriée de ces cas et à l’application des mesures prises.
Tout en vous remerciant des explications fournies, je suis au regret de vous informer que nos craintes n’ont nullement été dissipées et que notre perception d’insuffisance quant à l’action de notre institution, à l’égard de ces dossiers, reste identique.
A cet effet, vous trouverez, ci-dessous, notre appréciation sur une action loin d’être suffisante:
Concernant la réponse plus que tardive aux courriers du collectif du personnel à la base de la pétition « Pas en notre nom » ( lien ) relative à l’affaire Barroso et le manque d’attention réservée par notre institution à des milliers de membres de notre personnel l’ayant signé
En nous informant que la Commission a enfin répondu aux courriers du Collectif du personnel à l’origine de la pétition « Pas en notre nom » concernant l’affaire Barroso, vous semblez oublier que cette réponse est parvenue sous un délai de 5 mois, malgré plusieurs rappels et il a fallu une invitation formelle de la Médiatrice européenne auprès de la Commission afin qu’elle consente enfin à répondre à des milliers de membres du personnel ayant signé cette pétition.
Et en vous remerciant une nouvelle fois pour avoir rencontré en octobre dernier dans un cadre très protocolaire la délégation de ce collectif, nous continuons à croire qu’il est désolant de devoir constater que le Président Juncker n’ait toujours pas trouvé le temps de la recevoir à son tour alors que les autres institutions ont fait preuve d’une bien plus grande sensibilité et attention : lors du dépôt de la pétition, le Président Schulz avait réservé à la délégation de ce collectif un accueil très chaleureux et une écoute très attentive et par la suite le Parlement Européen a adoptée des décisions qui vont tout à fait dans le sens de la pétition.
Sans mentionner l’attention et l’écoute réservées par la Médiatrice européenne.
Dès lors, il est indéniable que de milliers de membres du personnel de la Commission qui ont fait appel au Président Juncker et à notre institution en manifestant leur confiance ait reçu plus d’attention et d’écoute des autres institutions que de notre institution.
Vous conviendrez avec moi que ce traitement n’est pas celui que des milliers de collègues sont en droit d’attendre de leur institution.
Concernant l’indulgence du comité d’éthique ad hoc, les limites des vérifications menées et l’existence d’une éthique à double vitesse
Concernant l’indulgence du comité d’éthique ad hoc, et le fait qu’il n’y aurait pas une éthique à double vitesse entre, d’une part, les enquêtes approfondies diligentées par l’IDOC pour les cas concernant les membres du personnel et, d’autre part, l’étendue des vérifications approfondies menées par le comité d’éthique ad hoc pour les anciens membres du collège, je me limiterais à citer la prise de position de la Médiatrice européenne sur les vérifications conduites dans le cadre de l’affaire Barroso :
« Je m’attendais à une enquête bien plus approfondie. Il n’y a aucune preuve qu’ils aient entendu qui que ce soit, qu’ils aient demandé à voir le contrat de Barroso chez Goldman Sachs ou qu’ils aient enquêté sur l’étendue des tâches qui lui seront confiées».
Sans oublier que dans sa résolution du 1er décembre 2016, sur les déclarations d’intérêts des membres de la Commission ( 2016/2080(INI) ), le Parlement européen met à son tour en exergue les limites du comité d’éthique ad hoc. Il demande sa réforme profonde et en particulier
« qu’il soit composé d’experts indépendants, qu’il établisse et publie un rapport annuel d’activités et puisse y inclure des recommandations concernant les améliorations à apporter au code de conduite ou à sa mise en œuvre qu’il estime appropriées ».
Concernant le caractère plus que tardif et insuffisant de la décision du 22 novembre 2016 de la Commission visant à renforcer la durée de la « cooling period » prévue par le code de bonne conduite pour les anciens membres du collège
Concernant votre revendication relative au mérite de notre institution d’avoir renforcé, en novembre dernier, la durée de la « cooling period » pour les anciens membres du collège, dès que nous avons pris connaissance de l’interview du 5 novembre 2016 de notre Président au journal le Soir, annonçant ses intentions en ce sens, nous avons immédiatement salué cette amélioration.
Toutefois, nous avons été au regret de devoir constater le caractère plus que tardif et insuffisant de ces modifications.
D’une part, le caractère tardif s’inscrit dans la succession de dénonciations restées sans réponses et ayant précédé la décision du 22 novembre 2016 de la Commission.
Le 4 octobre 2016, à savoir quelques semaines auparavant, M. Moscovici avait défendu devant le Parlement européen et au nom de la Commission, le caractère exemplaire des anciennes règles en confirmant qu’il n’y avait pas lieu de les amender.
A cette époque, nous avions constaté que la Commission semblait être l’unique instance au monde en mesure de défendre le caractère exemplaire ou même simplement adéquat de ces règles.
Et comme il était facile de le prévoir, cette prise de position malheureuse de la Commission avait été perçue comme une véritable provocation et avait engendré une réaction très ferme du Parlement européen qui, le 26 octobre 2016, a décidé de suspendre les indemnités perçues par les anciens commissaires européens.
Cette décision, adoptée à une très large majorité – aucun groupe ne s’y est opposé, ni même abstenu -, a été motivée notamment par le refus de la Commission de changer le code de bonne conduite:
« Le Parlement décide, à la lumière des récentes révélations et afin de reconquérir la confiance des citoyens européens et la crédibilité des institutions de l’Union, de conserver 20% des crédits des indemnités transitoires des anciens membres en réserve jusqu’à ce que la Commission applique un code de conduite des commissaires plus strict afin de prévenir les conflits d’intérêts et le «pantouflage».
Le 30 octobre 2016, en réaction à l’avis rendu par le comité d’éthique ad hoc dans l’affaire Barroso, la Médiatrice européenne avait à son tour contesté le refus de la Commission d’amender son code de bonne conduite alors qu’il s’avérait absolument obsolète.
Finalement, le 23 novembre 2016, après toutes les décisions rendues et les positions prises par le Parlement européen et la Médiatrice ainsi que les diverses réactions de la presse au sein de tous les Etas-membres, du personnel, de ses représentants… etc., la Commission a décidé d’amender le code de bonne conduite, en se limitant à prolonger la période de notification obligatoire à 2 ans pour l’ensemble des membres du Collège, et à 3 ans pour ses anciens Présidents.
Dans ces conditions, il est évident et incontestable que le caractère de cette décision a été plus que tardif.
D’autre part, la portée insuffisante des modifications introduites et des procédures d’application en la matière, en ce qui concerne notamment le comité d’éthique ad hoc, a été amplement confirmée par le Parlement européen, à travers sa résolution du 1er décembre 2016 ( 2016/2080(INI) ), également adoptée à une très large majorité.
A cette occasion, le Parlement européen a épinglé toutes les limites du code de bonne conduite relatives aux déclarations financières, à la gestion des conflits d’intérêt des commissaires, ainsi que celles sur la durée de la « cooling period ».
Le PE a demandé à la Commission de « réformer dans les plus brefs délais le code de bonne conduite » en stipulant entre autres:
« que le code de conduite soit modifié, conformément à l’article 245 du traité FUE, afin de porter la durée des limitations relatives aux activités professionnelles post-mandat des commissaires à une période d’au moins trois ans et en aucun cas inférieure à la période pendant laquelle les anciens commissaires peuvent prétendre à une indemnité transitoire telle que définie par le règlement n°422/67/CEE »
et que :
« la Commission fasse rapport chaque année sur l’application du code de conduite des commissaires et qu’elle prévoie des procédures de réclamation et de sanctions, non seulement dans les cas véritablement délictueux mais également en cas d’infraction aux obligations, notamment en ce qui concerne la déclaration d’intérêts financiers concernant le comité d’éthique ad hoc ».
Dans ces conditions, le caractère insuffisant de la décision de la Commission relatif à la réforme du code de bonne conduite se limitant uniquement à prolonger la durée de la « cooling period » est tout aussi évident et incontestable.
Concernant l’appréciation du caractère proportionnel des décisions adoptées dans le cadre de l’affaire Kroes
Concernant la gestion de la situation personnelle de Mme Kroes, à travers votre courrier, vous tenez à me rappeler son droit à un examen serein de son cas et à une décision motivée et proportionnelle.
Nous ne pouvons que partager ces principes généraux, qui doivent être à la base de toute décision de ce type, au sein de tout Etat de droit.
Force est néanmoins de rappeler que cette affaire concernait le mandat de Mme Kroes en tant que directeur d’une société située dans un paradis fiscal dont l’existence a été rendue publique, dans le cadre du Bahamas leaks, ainsi que l’omission de déclarer ses revenus 2015 à la Commission, tout en acceptant de recevoir son indemnité transitoire, perçue par les anciens commissaires, dans les trois ans qui suivent leur départ.
Or, Mme Kroes n’a pas été sanctionnée pour son mandat non déclaré. Seul un blâme lui a été adressé pour omission de déclaration de ses revenus.
A cet égard et pour apprécier le caractère proportionnel de cette décision et à nouveau l’existence d’une éthique à double vitesse, il est inutile de se lancer dans des spéculations pour imaginer quel aurait été le sort d’un quelconque membre du personnel confronté à ces mêmes allégations et, à savoir, s’il aurait pu être blanchi par l’IDOC et/ou l’AIPN en invoquant, à l’instar de Mme Kroes, le fait de continuer à l’insu de son plein gré à être administrateur d’une société qui ne sert à rien, à l’autre bout du monde, dans un paradis fiscal !
Quoiqu’il en soit, si la gestion de ce dossier était si irréprochable et les mesures annoncées en catimini, le 22 décembre dernier, si crédibles et proportionnelles, nous ne voyons pas comment M. Pascal Durand, rapporteur du texte adopté par le Parlement européen, le 1er décembre 2016, sur les déclarations d’intérêts des membres de la Commission, aurait pu les qualifier de « véritable foutage de gueule » en dénonçant que « les commissaires ne se rendent pas compte à quel point ils sont en train de détériorer l’image de l’Europe« .
De même, si la gestion de ces affaires avait été si exemplaire, on ne voit pas pourquoi la Médiatrice européenne aurait décidé d’ouvrir une enquête formelle concernant la manière dont notre institution a géré le « pantouflage » de notre ancien président Barroso, ainsi que les autres quatre derniers dossiers ayant donné lieu à un avis de la part du comité d’éthique ad hoc.
Conclusion
Compte tenu de qui précède, c’est avec un profond regret que, malgré les clarifications que vous avez tenu à nous apporter, nous devons une fois de plus déplorer l’attitude léthargique de notre institution, qui, tout au long du déroulement de ces affaires, a donné l’impression de cultiver l’illusion – tant par son inaction que par ses réactions, de toute évidence inadéquates – que ces affaires s’estomperaient et ceci, malgré toutes les sollicitations du personnel et de leurs représentants ainsi que les réactions politiques au sein de tous les Etats membres.
Par la suite, nous nous sommes réjouis des premières réactions et actions mises en œuvre. Elles demeurent, néanmoins, largement inadéquates, insuffisantes et incomplètes pour faire face à la gravité de la crise de crédibilité qui a atteint notre institution.
Cette attitude n’a pas manqué d’exacerber les réactions des citoyens, de votre personnel, de la presse et de provoquer des prises de position, de plus en plus fermes et critiques, du Parlement européen ainsi que les interventions répétées de la Médiatrice européenne, que nous tenons encore à saluer pour l’écoute réservée aux attentes du personnel et pour la clarté de ses prises de positions.
Ce sont cette –même- clarté et cette –même- écoute que votre personnel continue malgré tout à attendre de la part de l’institution, que nous avons choisie de servir avec enthousiasme et fierté.
De nouveau, nous tenons à confirmer que, dans le cadre des dossiers concernant les occupations des anciens membres du collège à la fin de leur mandat, les enjeux ne relèvent pas uniquement de leurs attitudes plus ou moins critiquables et de leur manque de sensibilité politique mais, relèvent avant tout de la crédibilité de notre institution en tant que gardienne des intérêts généraux des citoyens européens en démontrant sa capacité à résister à toutes les pressions externes notamment en provenance des lobbies.
Cristiano SEBASTIANI,
Président
Copies:
Mmes et MM les Membres du Collège
Mme E. O’ REILLY, Médiatrice européenne
M. P. DURAND, Membre du PE
euemployees@gmail.com
Le personnel de la Commission