Brussels, le 9 janvier 2019

 

  

Note à l’attention de M. Günther  OETTINGER,

Commissaire en charge du Budget et des Ressources humaines

et de M. Tibor NAVRACSICS,

Commissaire en charge de l’éducation, de la culture, de la jeunesse et du sport

Objet:  Rapport « Marche ou crève » les obstacles rencontrés par les enfants handicapés dans le système des  Ecoles européennes, publié par Human Right Watch et le Forum européen des personnes handicapées

 

Human Right Watch (lien) et le Forum européen des personnes handicapées, ONG indépendante qui défend les droits de 80 millions d’Eu­ropéens handicapés étant composée par les représentants des organisations des personnes handicapées au sein des Etats Membres (lien), viennent de publier un rapport accablant (lien), relayé par la presse, concernant les conditions dans lesquelles sont accueillis les enfants han­dicapés dans les écoles européennes

De septembre à novembre 2018, 27 personnes ont été interviewées à propos des cas de 12 enfants et d’un jeune adulte handicapés qui se sont déroulés dans 5 Ecoles européennes à Bruxelles et Luxembourg.

Ce rapport met en évidence 5 constats totalement à l’encontre des valeurs européennes que nous souhaitons inculquer à tous les jeunes européens :

1. Exclusion et pression pour quitter l’école

2. Attitude négative et harcèlement

3. Manque de souplesse de curriculum

4. Manque de sensibilisation et formation

5. Pénurie d’alternative, frais de scolarité des écoles privées

D’après ce rapport, en dépit des engagements officiels, les Ecoles européennes pratiquent une politique d’exclusion des enfants handicapés au sein de leur système éducatif. Il est fait état que certains enfants se voient parfois faire l’objet de procédures disciplinaires en raison de leurs comportements alors que ceux-ci relève du handicap.

En voici quelques exemples (lire le rapport complet) :

  • La maman d’un jeune garçon avec un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) explique « il y a deux situations: soit les enfants sont jetés dehors, souvent parce qu’ils sont en échec scolaire. Soit ils sont isolés, pas soutenus, jusqu’à ce qu’ils décident de sortir d’eux-mêmes. C’est ‘marche ou crève’ ». Cette collègue a fini par retirer son fils de l’Ecole euro­péenne…
  • Une jeune fille de 15 ans, dyslexique, a également été contrainte de quitter l’Ecole européenne après s’être battue pendant des an­nées pour obtenir des aménagements de base pour ses difficultés d’apprentissage, tels que le droit d’utiliser  un appareil pour pren­dre des photos du tableau…

Il est important de souligner que ces défaillances relèvent avant tout des limites du modèle éducatif et du manque de moyens destinés à assu­rer une gestion efficace de ces difficultés.

En effet, la plupart des parents interrogés ont reconnu que les enseignants et assistants faisaient très souvent de leur mieux pour aider les enfants et que les attitudes évoluaient de façon positive.

Le rapport fait état aussi d’exemples très louables comme le cas d’un jeune garçon handicapé qui, grâce aux efforts plus que remarquables déployés par un nouveau directeur, s’est retrouvé dans un environnement plus inclusif lui permettant de suivre les cours dans la plus grande dignité. Nous croyons savoir que cet exemple louable concerne l’Ecole de Laken.

Nous tenons à vous informer qu’après la prise de connaissance de ce rapport, nombre de collègues nous ont fait part du fait qu’ils parta­geaient pleinement tant les constats que les conclusions.   

Ils nous ont notamment fait état que  les aménagements quand ils ont lieu, varient d’une école à l’autre ainsi que d’une section linguistique à l’autre et dépendent même du bon vouloir des professeurs bien qu’il n’existe qu’une seule politique de soutien commune à toutes les écoles européennes.

Certains ont rapporté le fait que la mise en place d’aménagements pour les élèves en difficulté (tels que prévus dans la politique commune de soutien des écoles européennes) leur aurait été refusée au motif que cela aurait été discriminatoire vis-à-vis des  autres élèves de la classe qui eux n’ont pas de difficultés.

Or, lorsque les aménagements appropriés sont correctement mis en place, ils donnent de très bons résultats.

En effet, au lieu d’adopter une « éducation inclusive » permettant :

  • dans un premier temps, de garantir le respect de l’égalité des chances à ces enfants et jeunes adultes avec des besoins particuliers et ainsi leur permettre de s’insérer dans la vie scolaire et plus tard dans la vie active et,
  • dans un second temps, de promouvoir les valeurs communes européennes aux autres élèves, comme l’a déclaré le Commissaire Tibor Navracsics à la veille de sommet sur l’éducation «L’éducation doit doter nos concitoyens, jeunes et moins jeunes, des compé­tences qui leur permettent de mener une vie épanouissante et de bâtir des communautés… Nous devons utiliser pleinement le po­tentiel de l’éducation pour construire des sociétés résilientes, créer un sentiment d’appartenance et permettre aux citoyens de faire l’expérience de l’identité européenne dans toute sa diversité... Voilà ce que représente un véritable espace européen de l’éducation, et le sommet de demain constitue une mesure concrète en vue de sa réalisation.»

le système des Ecoles européennes a semblé avoir renoncé à se doter des moyens nécessaires avec comme conséquence le dépla­cement de ce « problème » en dehors de ses murs et donc son transfert vers des écoles privées.

1.5 millions d’euros de frais d’inscription en écoles privées pour 70 enfants…

Toujours selon ce même rapport, la conséquence financière qui découle de ce manquement a été l’allocation d’un budget conséquent qui s’élèverait à 1,5 millions d’euros pour 70 enfants pour couvrir les frais d’inscription dans les écoles privées. En effet, les frais de scolarité en école privée peuvent atteindre jusqu’à 50.000€ l’année et ne sont remboursés que partiellement, entre 40 et 80%, selon les revenus des pa­rents.

Nul ne peut douter qu’afin d’éviter d’obliger les parents à sortir leurs enfants du système éducatif des EE, il convient de doter les EE de moyens suffisants pour assurer les aménagements nécessaires ainsi que la formation spécialisée des enseignants et éducateurs. Ceci tout en respectant naturellement la liberté de choix des parents qui décideraient de garder leurs enfants auprès des écoles privées.

Le rapport confirme en tout point la position de R&D et les expériences des parents

En novembre 2017, R&D a organisé une exposition photos « Seul avec les Autres » sous le patronage de Madame la Commissaire Ma­rianne Thyssen (lien) afin de sensibiliser la Commission sur :

  • la nécessité des Ecoles européennes de redoubler d’efforts pour répondre encore mieux aux besoins des élèves handicapés
  • le développement d’un enfant handicapé qui exige de ses parents une attention et une disponibilité accrues

Nous avions également rappelé que certaines mesures avaient été mises  en place au sein de la Commission grâce aux efforts dé­ployés par R&D et la représentation du personnel mais que celles-ci  demeuraient insuffisantes.

R&D a toujours rappelé que toute politique discriminatoire est en contradiction avec la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (CIDE), la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapés (CNUDPH), le Socle européen des droits so­ciaux, la stratégie européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées, la recommandation (2018/C 195/01) du Conseil relative à la promotion de valeurs communes, à l’éducation inclusive et à la dimension européenne de l’enseignement….

Il ne faut pas oublier que, déjà en 2015, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU avait épinglé l’accueil des enfants handicapés par les Ecoles européennes

En particulier, dans son rapport de 2015, le Comité des droits des personnes handicapés de l’ONU s’est préoccupé sur le fait « que tous les élèves handicapés ne bénéficient pas des aménagements raisonnables nécessaires pour exercer leur droit à une éducation inclusive de quali­té dans les Ecoles européennes conformément à la Convention et que les écoles ne respectent pas la clause de non-rejet » qui prévoit que les personnes handicapés ne soient pas exclues du système d’éducation général en raison de leur handicap (lien )

Compte tenu de ce qui précède, R&D vous demande :

·          d’intervenir lors du Conseil supérieur des Ecoles européennes afin :

*    que les Ecoles européennes soient dotées de moyens leur permettant d’assurer une éducation véritablement inclusive en faveur des enfants/élèves handicapés incluant une formation obligatoire au handicap et à l’éducation pour tout le person­nel et si nécessaire se faire assister par l’Agence européenne pour l’éducation adaptée et inclusive

*   qu’un plan d’action d’urgence soit instauré pour remédier aux manquements décrits dans le présent rapport, y compris l’aménagement  du  curriculum pour ces enfants, et de veiller à sa mise en place

·      de veiller à ce qu’un budget supplémentaire soit alloué pour assurer les aménagements suffisants et appropriés dans les écoles européennes et que plus aucun enfant soit obligé de quitter le système éducatif des Ecoles européennes pour cause d’handicap

Nous tenons également à vous rappeler que pour le bien-être de nos collègues qui ont des enfants handicapés ainsi que pour un meilleur équilibre de la vie privée/vie professionnelle, il est essentiel de prendre les mesures nécessaires pour leur permettre de travailler sans se sou­cier de l’éducation scolaire de leurs enfants handicapés.

Nous demandons que ce point soit également abordé dans le cadre du dialogue social afin de permettre l’avancement de ce dossier.

 

Cristiano Sebastiani,

Président

 

Copie:

Mme I. Souka – DG HR

M. U. Moricca, Mme M. Saude -DG HR

Directeurs des Ecoles européennes

Association des Parents d’Elèves des Ecoles Européennes

Personnel des institutions

 

Annexes:

Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (CIDE)

Art. 23: « Les Etats parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et dé­cente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivi­té… »

Art. 28: 1. « Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progres­sivement et sur la base de l’égalité des chances… »  2. « Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention…»

Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapés (CNUDPH)

Art. 24 : «  Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à l’éducation. En vue d’assurer l’exercice de ce droit sans dis­crimination et sur la base de l’égalité des chances, les États Parties font en sorte que le système éducatif pourvoie à l’insertion scolaire à tous les niveaux et offre, tout au long de la vie, des possibilités d’éducation…. Aux fins de l’exercice de ce droit, les États Parties veillent à ce que : Les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système d’enseignement général et à ce que les enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ou de l’ensei­gnement secondaire… »

Socle européen des droits sociaux

Chap. 1.1 : L’éducation, la formation et l’apprentissage tout au long de la vie – Toute personne a droit à une éducation inclusive et de qualité, à la formation et à l’apprentissage tout au long de la vie afin de maintenir et d’acquérir des compétences qui lui permettent de participer plei­nement à la vie en société et de gérer avec succès les transitions sur le marché du travail.

La stratégie européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées (lire)

Cette stratégie a pour objectif de garantir l’application effective de la CNUDPH non seulement dans les Etats membres mais également au sein des institutions européennes. Elle met l’accents sur la suppression des entraves auxquelles se heurtent les personnes handicapées et agit dans 8 domaines, dont celui de l’éducation et de la formation.