Giuseppe Adurno travaille depuis 38 ans à la Commission: une carrière longue et fructueuse au cours de laquelle il a pu observer les changements qui ont eu lieu dans la construction européenne. Il a fait part de ses réflexions et de ses projets à Commission en direct.
Racontez-nous votre parcours…
Je suis originaire d’un petit village du Sud de l’Italie et je suis arrivé à la Commission en 1971. Rapidement je me suis intéressé à l’activité syndicale. J’ai pris goût à la défense du personnel et en même temps c’est très intéressant car ça vous donne une vue d’ensemble, du niveau le plus bas au niveau le plus haut de la Commission.
J’ai eu un parcours syndical relativement intensif et suis entre autres membre fondateur du syndicat R&D qui est aujourd’hui la première force syndicale à la Commission.
La représentation du personnel est un travail à temps plein pour moi depuis trois ans car je suis devenu vice-président du Comité du Personnel.
Pour moi, le travail à la Commission ce n’est pas seulement du travail mais aussi la plus grande école du monde.
Qu’est-ce qui vous a marqué le plus au cours de votre carrière ?
C’est le fait de participer à ce projet d’Europe, la flamme qu’on ressent et qu’on partage avec des gens d’autres nationalités.
Ce qui m’a marqué également, c’est le niveau de compétence des gens de la maison : tant de fortes personnalités, tant de cultures qui se mélangent et ça donne une force incroyable à condition que ce soit lié à un projet concret. Ce n’est malheureusement plus tout à fait le cas aujourd’hui et j’ai l’impression qu’on n’exploite plus assez cette force-là.
Il ne faut pas oublier qu’une Commission de seulement 2500 personnes a sorti l’Europe d’après-guerre de la misère ! A l’époque, le monde entier venait nous copier, personne ne contestait car les résultats étaient là. Aujourd’hui, les gens ont plutôt la sensation que nous leur prenons quelque chose, que nous créons surtout de l’incertitude. Ça, c’est ce que je ressens, que je trouve vraiment dommage.
Une autre évolution qui m’a marqué est celle des langues. Notre premier devoir de fonctionnaire c’est de s’intégrer. Alors en arrivant à Bruxelles, j’ai appris le français. On y parle aussi néerlandais, alors j’ai appris aussi passablement le néerlandais. Mais aujourd’hui, si vous ne maîtrisez pas l’anglais, c’est plus difficile. C’est aussi très choquant de voir des gens vivre en Belgique depuis très longtemps sans parler ni français ni flamand… Mais cela révèle la façon dont nous vivons. Le marché d’abord !
Vous êtes plutôt pessimiste…
Pessimiste, non, mais inquiet. La réalité fait qu’il y a de quoi être inquiet. Je le suis trois fois :
- en tant que fonctionnaire : de voir cette Commission se détruire et ne plus être en mesure d’être le garant de l’intérêt général ;
- en tant que parent d’un enfant : je ne veux pas faire partie de la catégorie de ces parents qui se résignent à ce que leurs enfants doivent avoir un avenir pire que le nôtre ;
- en tant que citoyen : de voir que je ne peux plus compter sur une Europe sans véritable projet où la diversité et la démocratie sont considérés de plus en plus comme des obstacles et pas comme une priorité.
Pascal Lamy a dit « le monde ne peut pas devenir un far-West, il faut le réguler »! Chose curieuse, en Europe, on a régulé jusqu’à la taille des haricots et au niveau mondial, on a tout dérégulé. Ca veut donc dire qu’on fait disparaitre beaucoup de particularités européennes pour favoriser la globalisation…C’est presque un sabotage à l’Europe !
Est-ce que vous avez des regrets ?
Non, je n’ai aucun regret car dans une grande administration, il faut savoir s’adapter, on ne peut pas tout faire. Sans tolérance, on ne peut pas vivre dans une telle diversité. Et l’Union européenne est le plus beau chantier du monde !
Vous avez un projet concernant une “Maison des Anciens”…
Etant moi-même sur le point de partir à la retraite, j’ai réfléchi depuis quelques temps à une chose : après 38 ans à la Commission, que se passe-t-il ? Je n’existe plus ? Il y a beaucoup de gens qui partent mais ont encore beaucoup à donner. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour qu’ils restent en contact avec la maison.
J’ai donc eu l’idée de créer une Maison des Anciens, et j’ai obtenu un soutien maximal de la part du Comité du Personnel, des syndicats et de l’administration. Siim Kallas était d’ailleurs présent lors de l’inauguration de notre cafétéria, dans le bâtiment Van Maerlant, en face du Comité des Régions. Nous sommes en train de construire deux salles de gymnastique, il y aura des cercles de loisirs…
Ce que j’envisage avec ce projet, c’est d’animer des mouvements d’Anciens pour qu’ils puissent rencontrer des jeunes, leur livrer leur expérience et justement, essayer de rallumer cette flamme. Bref, recréer le lien entre les débuts du projet européen et aujourd’hui. Les années que j’ai passées à la Commission sont une expérience incroyable, que j’ai envie de faire partager aux jeunes, et je ne suis pas le seul.
D’autres projets ?
La Maison des Anciens va me prendre beaucoup de temps et d’énergie, mais je reste aussi élu au syndicat R&D pour deux ans encore, donc je vais pouvoir encore continuer ma vocation de représentant du personnel.
J’ai aussi la chance d’avoir un grand jardin avec un potager et des plantes que j’ai ramenées d’Italie (c’est aussi ça, l’Europe !). Elles ont besoin d’être soignées, j’aurais le temps pour le faire. Le vélo de course que j’ai acheté il y a quelques années va aussi être content que je puisse enfin l’utiliser.
Et qui sait… peut-être aussi écrire un roman sur mes 38 années fantastiques passées à la Commission.