R&D soutient pleinement la vision présentée dans la lettre de mission du commissaire Serafin1, qui vise à garantir que « l’Europe puisse s’appuyer sur une administration publique moderne et efficace pour mettre en œuvre les priorités politiques de la Commission et faire la différence dans la vie quotidienne des Européens ».

Cependant, nous ne devons jamais oublier que par le passé, le désir de « moderniser » notre fonction publique a été utilisé pour justifier les réformes désastreuses du Statut. À cet égard, il est rassurant de constater que la lettre de Mission ne mentionne aucune volonté de réforme. Ceci est un point essentiel ! Le bilan des deux dernières réformes démontre que toute nouvelle réforme conduirait sans aucun doute à une nouvelle dégradation notamment des conditions de travail, ce qui mettrait en péril la capacité des institutions européennes à remplir leurs missions et aggraver les problèmes déjà sévères que nous connaissons actuellement en termes d’attractivité, de capacité à attirer les meilleurs candidats et à assurer l’équilibre géopolitique.

C’est pourquoi, la Commission doit prendre l’initiative d’apporter une solution décisive aux défis qui sous-tendent ces demandes, plutôt que d’attendre et de réagir à la pression croissante des États membres en faveur d’une réforme plus poussée.

C’est maintenant que les institutions doivent agir en prenant des mesures concrètes pour répondre à ces réelles préoccupations. Sinon, nous risquons que ces défis soient utilisés pour justifier une autre réforme désastreuse du Statut, qui éroderait encore davantage les conditions de travail et l’attrait de notre fonction publique.

À cet égard, garantir des conditions de travail flexibles est absolument l’un des aspects les plus cruciaux.

En effet, le travail flexible n’est pas seulement un outil pour répondre aux attentes du personnel, il est la clé pour rendre les institutions européennes plus attrayantes pour les jeunes talents et pour remédier aux déséquilibres géographiques qui entravent actuellement le recrutement. Les jeunes professionnels d’aujourd’hui exigent la flexibilité, et sans elle, nous risquons de perdre une génération de travailleurs qualifiés, vitale pour l’avenir de la fonction publique.

R&D soutient pleinement le commentaire lucide de la Présidente von der Leyen lors d’un podcast de la Banque centrale européenne :

« Si nous nous tenons au principe que nous vous dictons la façon de réaliser votre travail, ceci relève de votre décision, nous sommes simplement intéressés par le résultat. Donc, d’où que vous travailliez avec votre ordinateur portable, d’où que vous vous connectiez, c’est très bien, ceci est votre décision, mais le résultat est important. Si c’est le cas, c’est la bonne façon de procéder.

C’est exactement le message qui trouvera écho auprès des jeunes candidats, en leur montrant que les valeurs de notre service public l’emportent sur les structures rigides».

Travail flexible et manque d’attractivité de la fonction publique européenne

Les experts confirment que « les entreprises qui réussissent sont celles qui ont adopté une approche centrée sur l’humain, écouté leurs employés et créé des solutions personnalisées » et « elles ont compris que le retour au bureau n’est pas une question de tout ou rien, mais plutôt une question de trouver le bon équilibre pour chaque individu et chaque équipe2 » .

Les experts soulignent également que les entreprises et les administrations publiques qui ne répondent pas aux besoins et aux attentes des employés risquent de perdre leur personnel et de devenir moins attrayantes.

Il a également été souligné que les employeurs qui exigent un retour au bureau sont désavantagés sur le marché du travail.

En effet, les entreprises qui ont adopté le télétravail ont constaté une augmentation de leurs effectifs et soulignent que le télétravail est un facteur clé pour attirer et retenir les talents, en particulier les candidats les plus recherchés.

Une étude de la Harvard Business School le confirme : « Lorsque vous autorisez la flexibilité, vous élargissez votre vivier de talents », ce qui vous permet d’attirer et/ou de retenir les meilleurs candidats/employés3.. A cet égard, aucune différence n’est constatée entre les entreprises privées et les administrations publiques .

Comme le rappelle une étude de l’OCEDE intitulée « L’avenir du travail -à distance- dans la fonction publique “ : « nous savons maintenant que nous pourrions fonctionner avec moins de commandement et de contrôle. Nous pouvons en fait avoir plus d’habilitation, d’autonomie et de responsabilité dans les équipes, et avec des résultats de qualité4 ».

L’impact du télétravail sur la culture organisationnelle et la confiance au sein des organismes publics reste l’un des aspects les plus difficiles à mesurer. La culture organisationnelle se compose de règles non écrites, d’habitudes et de normes qui façonnent le lieu de travail. Il s’agit d’indices subtils et d’incitations sous-jacentes qui influencent les comportements, les attitudes et les valeurs.

Lorsqu’elle est bien alignée, la culture organisationnelle favorise un sentiment partagé d’objectif, d’identité et d’appartenance, qui sont essentiels à la cohésion et au succès de toute institution.

Travail flexible et déséquilibres géographiques

Animée par la conviction de promouvoir des valeurs communes et de loyauté, et malgré les mesures spécifiques imposées lors des différents élargissements, la politique de recrutement des institutions européennes a toujours évité d’imposer des quotas nationaux.

Cependant, il est indéniable que pour maintenir la légitimité de notre fonction publique européenne, en tant que protectrice de l’intérêt général de tous les citoyens européens, il est important de garantir l’équilibre géographique au sein du personnel, comme le prévoit le statut.

Actuellement, ce n’est pas le cas, 15 nationalités sont sous-représentées aux niveaux AD5-AD8.

Parmi les causes de ces défis, il est indéniable que les conditions de travail au sein des institutions de l’UE se sont considérablement détériorées, en particulier à la suite des deux réformes majeures de 2004 et 20145. Ces réformes ont eu un impact négatif sur l’attractivité des institutions de l’UE pour les diplômés des États membres disposant d’un marché du travail solide et de salaires plus compétitifs, ce qui a accentué les déséquilibres géographiques.

Le déséquilibre géographique est une question politiquement sensible qui, si elle n’est pas traitée rapidement, ne fera qu’alimenter la rhétorique eurosceptique, remettant en cause la légitimité de notre fonction publique et des institutions mêmes de l’UE.

Nous devons toujours garder à l’esprit l’importance de la décision visionnaire et historique d’établir, par le biais du Statut, une fonction publique européenne totalement indépendante des États membres et dédiée exclusivement à l’avancement du projet européen. Ce choix fondamental a longtemps été contesté par les détracteurs de l’Union européenne.

Néanmoins, il est évident que les déséquilibres géographiques existants sont déjà exploités pour justifier une évolution vers un système basé sur des fonctionnaires nationaux détachés par les États membres, ou, à tout le moins, l’imposition de quotas nationaux.

En outre, la Commission est souvent perçue, en particulier par les potentiels candidats des États membres sous-représentés, tel un « mammouth » et comme l’institution européenne la plus hiérarchisée et la plus bureaucratique ; elle est considérée comme un employeur aux hiérarchies rigides et à l’autonomie personnelle limitée, qui ne répond pas aux normes nationales, en particulier en termes de flexibilité et de travail à distance.

Souvent, la Commission européenne a du mal à rivaliser avec d’autres employeurs des États membres sous-représentés lorsqu’il s’agit d’offrir des conditions de travail flexibles. Par exemple, dans certains États membres, la semaine de travail de quatre jours est considérée comme la norme. L’absence de telles options au niveau de l’UE a clairement dissuadé de nombreux candidats.

À cet effet, il a été souligné que les institutions européennes ne peuvent rivaliser avec les administrations nationales en termes de flexibilité des conditions de travail lorsqu’une semaine de quatre jours est parfaitement normale.

En effet, parmi les huit États membres où le télétravail était le plus répandu en 2022, sept étaient (fortement) sous-représentés 6.

Il est à noter que les États membres les plus sous-représentés sont également ceux où le télétravail est le plus répandu

Cela souligne la nécessité pour la Commission d’offrir des conditions de travail plus flexibles afin d’attirer les talents de ces pays et de s’assurer qu’elle reste une fonction publique à laquelle tous les citoyens de l’UE peuvent s’identifier.

Ce faisant, la Commission ne se contenterait pas d’élargir son vivier de talents, mais donnerait également un exemple positif de pratiques de travail modernes et inclusives.

Par conséquent, offrir des conditions de travail plus flexibles et de plus grandes possibilités de télétravail peut non seulement remédier efficacement aux déséquilibres géographiques, mais aussi contribuer à attirer plus efficacement les jeunes candidats.

Conditions de travail flexibles et recrutement de jeunes candidats

En effet, la flexibilité est sans aucun doute l’une des principales attentes des jeunes générations ; en tant que « natifs du numérique », ils ont grandi avec internet et les smartphones. Nombre d’entre eux remettent en question la nécessité d’être présents dans un bureau tous les jours simplement pour utiliser des outils numériques accessibles de n’importe où. 

Il est tout aussi important que la Commission adopte et expérimente pleinement ce mode de travail moderne.

Par exemple, le télétravail et l’essor des « nomades numériques » posent déjà des défis au marché unique, en particulier lorsque les travailleurs se heurtent à des obstacles tels que la fiscalité nationale, la réglementation de la sécurité sociale ou le droit du travail, qui limitent leur mobilité dans l’UE.

Attirer « les meilleurs et les plus brillants » et retenir le personnel expérimenté est crucial pour toute organisation, mais la Commission est confrontée à un défi unique : elle doit être également attrayante pour les candidats potentiels de tous les États membres.

Actuellement, ce n’est pas le cas et la composition du personnel de la Commission européenne devient de plus en plus déséquilibrée, à la fois en termes de répartition géographique et d’âge moyen des nouvelles recrues.

Par ailleurs, les collègues responsables des procédures de recrutement dans les directions générales et les services confirment que la première question posée lors des entretiens de recrutement par les candidats, notamment les plus jeunes, est le degré de flexibilité dans l’organisation du temps de travail.

En Italie, suite aux négociations avec les représentants du personnel, une nouvelle convention collective régissant les conditions de travail des fonctionnaires vient d’être signée.

La principale nouveauté est une augmentation significative de la flexibilité, avec l’introduction de la semaine de 4 jours et un recours accru au « smart working ».

Ces mesures ont été présentées comme les seules capables de répondre aux grandes difficultés de recrutement de jeunes candidats.

Dans ce contexte, le ministre italien compétent a confirmé que « davantage de smart working et de semaines courtes ont été introduits afin d’attirer les jeunes » parce qu’il ne suffisait plus de garantir des emplois stables et « qu’il fallait passer au travail cool »

Les jeunes générations, en particulier, exigent de plus en plus des conditions de travail flexibles. En adoptant un environnement de travail plus moderne, la Commission peut démontrer qu’elle n’est pas seulement à l’avant-garde, mais qu’elle est aussi en phase avec l’évolution des tendances sociales.

Rien n’incarne mieux l’esprit européen que la facilitation de la libre circulation des personnes à travers les frontières, comme en témoigne l’immense succès du programme Erasmus.

En outre, en introduisant des modalités de travail à distance plus souples pour le personnel de l’UE, la Commission rapprocherait « l’Europe » de ses citoyens et renforcerait son lien avec les personnes qu’elle sert.

De plus, si le personnel de l’UE est en mesure de télétravailler plus largement à travers l’Europe, il aura des interactions plus fréquentes avec les citoyens en dehors de la « bulle » bruxelloise, dans des lieux de la vie quotidienne tels que les salles d’attente ou les cafés locaux. Bien que le personnel de l’UE ne représente pas officiellement la Commission dans ces contextes, il peut néanmoins contrer la perception des fonctionnaires de l’UE comme des bureaucrates distants et déconnectés du public.

Ces rencontres peuvent contribuer à humaniser la Commission et permettre au personnel de rester en contact avec l’opinion publique, en recueillant des réactions non filtrées et des idées nouvelles provenant de tout le continent.

En adoptant des pratiques de travail modernes, telles que le télétravail et la poursuite de la numérisation, la Commission peut également se présenter comme une institution tournée vers l’avenir, à la fois réactive et en phase avec la réalité d’aujourd’hui.

Cela ne remet pas seulement en cause l’image désuète des fonctionnaires européens comme des gratte-papiers perdus dans la paperasse, mais montre aussi que l’UE prépare sa fonction publique pour l’avenir.

Conclusion

R&D, demande donc instamment à la Commission de :

  • – rejeter fermement toute tentative de « retour au passé » ;
  • – confirmer que le travail flexible est désormais une mesure structurelle et permanente qui fait partie intégrante de sa politique du personnel et une composante essentielle d’une nouvelle gestion moderne des ressources humaines basée sur une véritable « culture de la confiance » ;
  • – montrer l’exemple en s’inspirant des meilleures pratiques des États membres et des autres institutions de l’UE, notamment en ce qui concerne le télétravail à partir de l’étranger.

Ce faisant, la Commission peut réaffirmer son rôle de chef de file et de force innovante en Europe et veiller à ce que son personnel reflète la diversité et le dynamisme du continent

Cristiano Sebastiani,

President

1. db369caa-19e7-4560-96e0-37dc2556f676_en (europa.eu)

2. Le retour au bureau, une erreur stratégique pour les entreprises ? 80% des patrons regrettent leurs décisions initiales et admettent qu’ils auraient dû mieux écouter leurs employés, selon Envoy (developpez.com)

3. https://www.hbs.edu/ris/Publication%20Files/Work%20from%20Anywhere_forthcoming%20SMJ_ee8cc7c5-c90e-4ad9-a1f4-47309d693a5c.pdf

4. [Title] (oecd.org)

5. [ Special report no 15/2019: Implementation of the 2014 staff reform package at the Commission – Big savings but not without consequences for staff]

6. Employed persons working from home as a percentage, data from 2022” Eurostat https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/lfsa_ehomp/default/bar?lang=true