Job Description, Externalisation, Privatisation, Quelle Est La Situation Reelle ?

Une politique de gribouille

Depuis plusieurs années , la Commission est confrontée à une pénurie de personnel grandissante qui l’a conduite à :

- recruter dans des conditions de plus en plus critiquables du personnel temporaire et précaire dans des conditions que la loi belge (et celle de nombreux Etats membres) interdit aux sociétés privées, en utilisant toutes les possibilités prévues pour gérer des pénuries de main d’oeuvre conjoncturelles (intérimaires, auxiliaires, agents temporaires) mais afin de couvrir des besoins structurels ;

- sous-traiter à des consultants privés des tâches de service public, y compris dans le domaine de la gestion budgétaire, avec des surcoûts et une perte d’efficacité des actions, ainsi que des risques de conflit d’intérêts, qui ont conduit à une partie des « affaires » qui ont entraîné la démission du Collège en 1999.

Cette réalité est attestée par la récente communication concernant la gestion de l’aide aux pays tiers, que nous vous présentons par ailleurs, à titre d’exemple.

On aurait pu attendre de la précédente Commission, et en particulier de son membre chargé du personnel et du budget, une action résolue pour combattre cette pénurie et trouver des moyens pour y mettre fin, soit en réduisant les activités de l’Institution, soit en recrutant du personnel supplémentaire.

Au contraire, on a suivi la politique de l’autruche, en prétendant ne pas avoir besoin de moyens supplémentaires en personnel et donc en n’en faisant pas la demande à l’autorité budgétaire. Pendant ce temps, la Commission a continué à accepter toutes les tâches nouvelles qui lui étaient octroyées par le Conseil et le Parlement.

Après la publication du deuxième rapport des experts indépendants, qui a mis l’accent sur l’importance de la pénurie de personnel et de ses conséquences, on aurait pu imaginer que la Commission, instruite par l’expérience cuisante des événements de 1999, aurait accepté de changer de politique.

Il n’en a rien été. Alors que le Parlement l’avait fortement invité à faire état de ses besoins, M. Kinnock grand réformateur mais aussi survivant de l’ancien Collège, s’en est tenu à la politique de son prédécesseur et prétend moderniser la Commission sans personnel supplémentaire (sauf pour actionner la bureaucratie de sa réforme).

Pour bien marquer son entêtement, il a donné instruction aux services de travailler sur des hypothèses de réduction de 5 à 15% des postes. Nous vous présentons ci-contre les résultats de cette simulation pour la DG ADMIN, qui donnent une bonne idée de la marge d’actions dont l’Institution dispose dans ce domaine. Parallèlement, la Commission a adopté un autre document qui donne une bonne idée de la situation dans le secteur RELEX. Les deux documents (la communication des relations extérieures et la simulation de M. Reichenbach) sont intrinsèquement liés :

- d’une part, la gestion de l’aide externe apporte une bonne démonstration de l’état catastrophique de la gestion financière à la Commission, faute d’avoir accepté de lui consacrer les moyens humains nécessaires ;

- d’autre part, la simulation des réductions d’effectifs à la DG ADMIN apporte une bonne démonstration de l’impasse dans laquelle nous enfonce une politique malthusienne, qui refuse avec persistance d’admettre des réalités pourtant anciennes.

Chacun pourra ainsi juger des premiers résultats de notre grand réformateur, qui ne fait rien de plus que de suivre la politique désastreuse de son prédécesseur.

Errare humanum est, sed perseverare diabolicum !

Pour R&D, voici plusieurs mois que la situation est claire.

Non seulement M. Kinnock s’est engagé dans une réforme plus médiatique que réelle, mais il poursuit en réalité d’autres objectifs que le renforcement de la Commission.

L’externalisation généralisée est l’un d’entre eux et apparaît de plus en plus comme une fin en soi et non un moyen. M. Kinnock peut-il nous dire :

- dans quelle domaine il compte renforcer la Commission ?

- à qui sont confiées les activités contractualisées ?

- à qui profite la désorganisation qui se répand dans l’Institution ?

La communication sur l’aide extérieure : un constat lucide

R&D se contentera de quelques citations révélatrices :

« La Commission, qui gère 10% de l’aide publique au développement, ne dispose que de la moitié ou du tiers du personnel par rapport aux autres donateurs… là où les Etats membres ou la Banque mondiale ont entre 4 et 9 fonctionnaires pour gérer 10M€, la Commission ne dispose que de 2.3 fonctionnaires »

C’est une bonne comparaison : avant de décréter des réductions uniformes de 5 à 15% quelle que soit la situation, M. Kinnock aurait été bien inspiré de fournir aux services des éléments de comparaison de leurs activités avec celles réalisées dans les Etats membres ou dans le secteur privé. On aurait pu éventuellement observer, comme dans le cas RELEX, que la Commission n’est pas une administration aussi pléthorique qu’on veut le laisser croire.

« Le coût annuel des BAT dans le domaine de RELEX est estimé à 170M€ environ sur les 190 pour l’ensemble de la Commission… ce chiffre équivaut à 80% du budget administratif total des Délégations de la Commission dans le Monde. »

C’est également une question à creuser : est-il possible de démontrer que la sous-traitance va coûter moins cher au budget communautaire que le recrutement de fonctionnaires statutaires ?

« La nécessité de recourir à des BAT sans suivi approprié a empêché un contrôle financier et politique adéquat sur la mise en oeuvre de l’aide communautaire. »

Cette observation est très importante : une externalisation incontrôlée porte atteinte à la réalisation des obligations de service public qui sont confiées à la Commission par les traités.

« … les structures de RELEX ont souffert d’une grande instabilité…Cela a entraîné une dispersion des ressources humaines, un cloisonnement des méthodes, un affaiblissement des capacités de gestion… »

Notre grand réformateur devrait méditer cette conclusion. En effet, dans ce secteur comme dans quelques autres, ce ne sont pas le restructurations qui ont manqué, mais plutôt la continuité politique nécessaire.

Conclusion de la communication : « la situation actuelle est insoutenable .»

C’est sans doute la raison pour laquelle la communication ne fait aucunement allusion à la simulation des 5-15%, qui est dans ce cas comme dans beaucoup d’autres tout à fait inadaptée à la situation.

La communication poursuit en faisant des propositions de réforme de la gestion de l’aide :

- la Commission doit choisir le moyen le plus approprié et le plus rentable de fournir l’aide qu’elle accorde;

- la Commission doit étudier comment elle peut mettre en place une solution de remplacement efficace aux quelques 80 BAT qui opèrent dans le domaine de RELEX ;

- il faut avoir recours à du personnel placé sous l’autorité directe, du point de vue politique et de la gestion, d’institutions européennes responsables ;

- si la Commission ne peut disposer de ressources humaines supplémentaires, elle devra indiquer dans quelle mesure le volume d’aide extérieure doit être réduit si l’on veut maintenir une gestion correcte et sûre.

La Commission reconnaît qu’il « est clair qu’il est inutile d’essayer de s’en sortir avec le système actuel ». Elle estime que « même avec les ressources actuelles des BAT, la Commission n’est pas en mesure de fournir de manière efficace une aide extérieure aux niveaux requis. »

D’autres propositions (groupe d’appui à la qualité, amélioration de l’évaluation des programmes, création d’un successeur au SCR) se traduira par des demandes de ressources humaines supplémentaires.

On ne peut mieux reconnaître qu’un exercice de réduction de 5 à 15% des priorités négatives est tout à fait hors de propos avec les nécessités d’une amélioration de la gestion de l’aide extérieure.

L’exercice de simulation à la DG ADMIN : un travail inutile?

La DG ADMIN est un cas intéressant en raison de son rôle de prestations de services et de contrôle vis-à-vis des autres DG.

M. Reichenbach a loyalement mis en oeuvre la directive de M. Kinnock et demandé à ses services de travailler sur une simulation de 5-15%.

Le document contient une série de propositions d’importance très inégale. Elles consistent essentiellement à exporter des tâches vers d’autres services ou à les externaliser dans des conditions non déterminées. On a l’impression que la priorité consiste à réduire le nombre de fonctionnaires inscrits au tableau des effectifs

Une liste assez baroque indique des possibilités plus ou moins importantes de réduction des tâches de la DG ADMIN dans des secteurs d’importance inégale pour la gestion du personnel, du traitement des dossiers maladies ou des immatriculations de véhicules à la gestion des carrières et à la formation. Puisque la mode est à la réduction, on propose des réductions partout.

Au moment où la réforme de M. Kinnock prétend améliorer la gestion des carrières et développer la formation, il est un peu surprenant de voir ces secteurs figurer dans les priorités négatives de la DG ADMIN. Pour R&D c’est une bonne démonstration de la stupidité d’un tel exercice.

En revanche, il aurait été utile de :

- calculer les économies réelles qui pourraient être réalisées par l’Institution dans une logique de simplification de l’organigramme ou des procédures. En effet, la DG ADMIN peut faire gagner du temps aux autres DG et économiser de son temps propre ;

- de faire, comme à la DG RELEX, les comparaisons qui permettraient de savoir là où la DG ADMIN fait mieux ou plus mal que des services similaires. En effet, les activités de la DG ADMIN sont assez similaires aux activités de même nature menées par des administrations nationales ou de grandes entreprises privées ;

- faire des propositions concernant la simplification des procédures administratives.

Quelques suggestions à M. Kinnock :

La propagande des « messages à everybody » qui loue les bienfaits de cette réforme ne peut masquer un constat accablant : comme le montre l’exemple de la DG RELEX, une démarche raisonnable est possible pour traiter de cette question complexe.

Elle aurait pu être menée de la manière suivante

1. Une demande aux DG de fournir une estimation des effectifs requis, dans des conditions normales pour permettre à la Commission de remplir ses obligations de service public, afin d’avoir une base claire d’adéquation des effectifs actuels avec les besoins.

2. Une demande aux DG d’indiquer quels gains de productivité pouvaient être obtenus et par quels moyens, afin de pouvoir indiquer clairement à l’autorité budgétaire à quel endroit des postes budgétaires pouvaient être récupérés :

- par une simplification des procédures ou une amélioration de l’organisation interne ;

- par des opérations d’externalisation maîtrisées et pleinement justifiées par un rapport coût efficacité supérieur à la gestion interne ;

- par le recours éventuel et également justifié à du personnel non statutaire.

3. La Commission aurait ainsi disposé d’une base objective pour déterminer sa politique vis-à-vis:

- de la création d’agences ou d’autres structures intermédiaires, qui se révéleraient nécessaires ;

- de la rétrocession éventuelle aux Etats membres de certaines activités.

R&D est convaincu que la Réforme de la Commission est une tâche de longue haleine qui nécessite de profonds changements. Il s’agit donc d’une opération qui prendra plusieurs années et qui ne réussira qu’avec le concours de tous.

Pour sa part, M. Kinnock a opté pour une opération médiatique à court terme destinée à valoriser son rôle de vice-Président réformateur par des actions spectaculaires et souvent sans lendemain.

Il ne semble pas intéressé au succès d’une véritable réforme.

Derrière cet écran de fumée, il en prépare une autre : celle d’une Commission light, comme le statut qu’il avait initialement proposé, qui se contenterait de la gestion du marché unique et ne se mêlerait plus de faire avancer la construction européenne.

Une Commission unilingue, comme M. Kinnock, qui fera des économies en réduisant radicalement ses charges de traduction et sera docile aux injonctions des Etats membres et du secteur privé.

Une telle Commission sera aussi modeste en termes de salaires et de statut : dans une institution ainsi rabaissée, il ne sera plus nécessaire de recruter par concours un groupe de fonctionnaires hautement qualifiés et de les payer en conséquence.